dimanche 26 septembre 2010

L'Associé doit habiter sa statue

Le statut d'Associé semblerait moins attrayant aux consultants. C'est du moins ce que disent ceux qui quittent leur cabinet pour prendre des responsabilités opérationnelles chez leurs clients. Ceci amène à s'interroger tant sur le contenant que sur le contenu du poste d'Associé.

Le contenant.
La cooptation au grade d'Associé permet à l'heureux élu d'accéder à un statut différent au sien du cabinet. Ceci se matérialise par un "package" qui peut prendre différentes formes d'une firme à une autre : rémunération bien-sûr, accès au capital quand cela est possible, complément retraite, responsabilité d'équipe, participation au comité de direction, voiture de fonction, bureau nominatif à plusieurs fenêtres et moquette épaisse, secrétaire etc... Avec la disparition progressive de l'equity partnership et surtout les réductions de coûts, ces packages ont pu être mis à mal ces dernières années par certains cabinets. D'où cette perte de repère pour les jeunes consultants.

Le contenu
Mais les prérogatives ne permettent pas à elles seules de construire le statut d'Associé. Encore faut il donner corps à ce statut et là, on parle de la personnalité même du coopté. Qu'est-ce que cela veut dire ? Plusieurs ouvrages de management traitent de ce point mais pour tenter de sortir de ces sentiers battus, (re)-lisons un ouvrage consacré à la philosophie du chef par Charles de Gaulle, "un homme qui habitait sa statue" [Alain Peyreffitte]. Publié en 1932, Le Fil de l'épée consacre en effet plusieurs chapitres à dépeindre les qualités requises aux bons chefs militaires.

Certaines qualités sont communes à celles des bons Associés :
> Le Caractère
"Face à l'évènement, c'est à soi-même que recourt l'homme de caractère. Son mouvement est d'imposer à l'action sa marque, de la prendre à son compte, d'en faire son affaire [...] le Caractère imprime son dynamisme propre aux éléments de l'action.". Le Caractère est sans nul doute la qualité première de l'Associé : il est recherché par nos clients qui l'appellent "Conviction" ou "Devoir d'alerte" et il est nécessaire à l'animation des équipes. Par exemple, un "Associé" qui ne sait pas rebondir après un échec commercial va rapidement entraîner son équipe dans sa "dépression" : le mental du manager fait le mental de son équipe. La conclusion est chaque fois la même : la cooptation était prématurée.

> Le Prestige
Un thème cher à l'auteur et qu'il faut rapprocher de celui de la Grandeur des objectifs poursuivis par le Chef. "Il lui faut viser haut, voir grand, juger large [...] Il lui faut écarter ce qui est mesquin de ses façons et de ses procédés." La mise en mouvement des équipes requiert une vision de ce que sera son activité dans 18 mois. La communication de chiffres ne nécessite qu'un comptable pas un Associé. Les consultants attendent de ce dernier qu'il soit en mesure d'élever le débat.

> La Doctrine
"Les principes qui régissent l'emploi des moyens : économie des forces, nécessité de procéder par concentration et, en conséquence, par phases ou bonds, surprise pour l'ennemi, sûreté pour soi-même, n'ont de valeur que par la façon dont ils sont adaptés aux circonstances [...] Apprécier les circonstances dans chaque cas particulier, tel est donc le rôle essentiel du chef. Du fait qu'il les connaît, qu'il les mesure, qu'il les exploite, il est vainqueur ; du fait qu'il les ignore, qu'il les juge mal, qu'il les néglige, il est vaincu [...] Tel industriel, puissamment outillé, se ruine pour avoir méconnu l'état du marché." Attention aux stratégies "me too" qui copient les concurrents, attention à la reproduction des "recettes" du passé. Là encore, il est du ressort de l'Associé de construire le positionnement de ses offres : "construire" requiert des aptitudes de réflexion pas de duplication.


Que retenir de tout cela ?

Deux choses. D'abord, il faut s'attacher à ce que la cooptation continue de marquer le passage à un statut clairement identifié et visible par les équipes. Ensuite, et surtout, il faut veiller à la qualité des cooptations, ne pas céder à la crainte de voir partir des candidats "presque prêts" pour passer au grade d'Associé : il faut s'assurer qu'ils soient en mesure d'habiter leurs statues très rapidement.

samedi 11 septembre 2010

Conseil en stratégie vs. Conseil en organisation

L'industrie du Conseil en stratégie a-t-elle un potentiel supérieur à celui du Conseil en organisation ? Pour répondre à cette question, essayons d'utiliser cette bonne vielle méthode des cinq forces de Michaël Porter. L'objectif est à chaque fois d'identifier les différences entre chacune des 2 industries.

1> Intensité de la concurrence entre les entreprises du secteur Cette force s'analyse habituellement selon 6 critères.

Il apparaît que les 2 industries sont équivalentes au regard de 4 de ces critères :
> Différenciation des services
> Part des coûts fixes et difficultés de stockage
> Barrières à la sortie
> Diversité des concurrents

Par contre, elles différent sur les 2 critères suivants :
> Concentration de l'industrie : le marché du Conseil en stratégie est beaucoup plus concentré que celui du Conseil en organisation, notamment avec beaucoup moins de gros acteurs. Or plus la concentration est forte, moins la concurrence est intense et donc plus l'industrie est normalement rentable.
> Croissance de l'activité : difficile d'obtenir des chiffres quant à la croissance du Conseil en stratégie. Ceci étant dit, ce dernier est plus résistant à la crise. Les clients ont moins de difficulté à investir dans un cadrage stratégique de 3 à 6 mois que dans un grand projet de transformation étalé sur plusieurs années et mobilisant une importante équipe de consultants.


2> Menace des entrants potentiels et barrières à l'entrée.
7 critères sont utilisés pour analyser cette force.

Il y a pour cette "force" de Porter de grandes similitudes entre les 2 métiers :
> Avantages de coût indépendants de la taille
> Différenciation des produits
> Accès aux réseaux de distribution
> Règlements et barrières légales
> Capacité de riposte des firmes en place

A noter cependant quelques divergences pour 2 critères importants :

> Ticket d'entrée dans l'industrie : l'argument de vente des cabinets en stratégie réside dans leurs études comparatives et quantitatives. C'est le résultat de très gros travaux de recherche et d'une capitalisation des connaissances sans faille. Ceci explique qu'il est beaucoup plus difficile d'entrer dans le secteur du Conseil en stratégie que dans celui du Conseil en organisation pour lequel, il n'y a quasiment pas de barrière à l'entrée.
> Économie d'échelle : plus un cabinet en stratégie est important plus il pourra amortir ses coûts de R&D. Pour les autres coûts (marketing, recrutement etc...) les 2 métiers sont équivalents du point de vue de ce critère.


3> Pression des produits et services de substitution
Cette force est usuellement analysée suivant 2 critères :
> Élasticité croisée
> Innovation
Ils ne permettent pas de différencier les 2 industries.



4&5> Pouvoir de négociation des fournisseurs / acheteurs
On utilise 6 critères pour l'analyser.

Les 2 industries ne peuvent être différenciées sur la plupart des critères d'analyse de cette "force" de Porter :
> Concentration relative
> Impact de la qualité des inputs sur la qualité des outputs
> Différenciation des services
> Coût de remplacement du partenaire
> Part du produit fourni dans la structure de coût du client

... sauf une qui pourrait menacer à moyen terme l'industrie du conseil en organisation : la menace d'intégration verticale. De plus en plus de grandes entreprises font du conseil en management : La Poste Conseil (créée en 2006), SNCF Conseil (créée en 2007), Air France Consulting, Safran Conseil, Renault Consulting...

Bref, en conclusion, la méthode de Porter montre que le conseil en stratégie est potentiellement plus attractif que celui du conseil en organisation et que, ce dernier doit impérativement monter en valeur et privilégier l'innovation pour poursuivre une trajectoire de croissance.

Rien que de très intuitif me direz-vous et il n'y avait peut-être pas besoin du modèle de Porter pour arriver à cette conclusion.

Méfions nous cependant de certaines intuitions. On pourrait penser qu'il vaut mieux être un petit cabinet dans un secteur fragmenté (nous avons vu que celui du conseil en organisation, avec ses nombreux acteurs, était plus fragmenté que celui du conseil en stratégie). Le modèle de Porter montre exactement l'inverse : une industrie concentrée est plus rentable qu'une industrie fragmentée, les petits concurrents bénéficient comme les gros des marges élevées qui sont pratiquées dans l'activité. Mais encore faut-il savoir rentrer sur ce marché...

samedi 4 septembre 2010

Théorie de la création de valeur par le conseil

Patrick Besson, Professeur à l'ESCP, et Frantz Rowe, Professeur à l'Université de Nantes, ont tenté d'établir une théorie de la création de valeur par le conseil en management ("Le conseil en management à l'épreuve de la création de valeur pour l'entreprise" - juin 2009).

Cette théorie de la création de valeur identifie 3 typologies de prestation ayant chacune une valeur spécifique : valeur fonctionnelle, valeur normative ou valeur transformationnelle.

Pour plus de détails, cet article est disponible sur le site du SYNTEC Conseil en Management, en synthèse :
> dans le cadre d'une mission créatrice de valeur fonctionnelle, le consultant apporte son expertise pour contribuer au processus de "production" (au sens large) de l'entreprise cliente. Il contribue également au processus de capitalisation et d'enrichissement des compétences de l'entreprise (knowldege factory).
> dans le cadre d'une prestation à valeur normative, le rôle du cabinet réside à trois niveaux : la conception, la diffusion et l'adaptation de normes. Un cabinet peut intervenir aux 3 niveaux (exemple : le BCG avec la matrice du même nom) ou seulement au niveau de la mise en oeuvre (ex : déploiement du Lean Six Sigma ou des balanced scorecards tels que conçus par Kaplan et Norton).
> enfin, la valeur transformationnelle d'une mission de conseil démontre la capacité d'un cabinet à accompagner ses clients dans les évolutions de son business model. La création de valeur se mesure alors par la vitesse du processus de changement de l'entreprise cliente.

Il est intéressant de constater qu'en période de crise, le marché se concentre sur la création de valeur fonctionnelle et la participation aux processus de "production" des entreprises clientes. Bien entendu, même si les volumes baissent, la production requiert toujours l'intervention d'experts fonctionnels et ce type de missions perdure. Le recul des missions normatives peut sans doute s'expliquer par la faible capacité d'investissement des cabinets en période de crise. Les mécanismes de création de valeur normative requièrent en effet la recherche et le développement de nouveaux concepts et aussi du marketing pour diffuser ces normes. Enfin, les clients opèrent également des coupes budgétaires et hésitent donc à lancer de gros projets de transformation. Conséquence : moins de prestations à valeur transformationnelle.

Ceci étant dit, dès la sortie de crise, les cabinets de conseil en management doivent rapidement se préparer à relancer des offres de création de valeur normative ou transformationnelle car ce sont ces offres qui contribuent véritablement à la rentabilité d'un cabinet.

Pourquoi ? Parce que la création de valeur fonctionnelle pour le client n'est mesurée que par le rapport entre la qualité des intervenants et leur prix d'intervention. La rentabilité des missions fonctionnelles dépend principalement de la marge sur les salaires consentie par les clients.

Alors que pour les prestations normatives ou de transformation, la valeur perçue par le client dépasse la seule qualité des intervenants. Le client achète aussi une norme ou, dans le cas des transformations, il achète la crédibilité du cabinet et/ou ses benchmarks. Tout le monde gagne en valeur et la rentabilité des missions normatives ou transformationnelles est supérieure aux missions fonctionnelles.


Si cette sortie de crise se confirme, il faut rapidement retravailler les offres de conseil en management suivant ces trois dimensions de la valeur : valeur fonctionnelle, valeur normative et valeur transformationnelle.