mardi 29 avril 2025

Conseil en stratégie versus Conseil en organisation ?

L'industrie du Conseil en stratégie a-t-elle un potentiel supérieur à celui du Conseil en organisation ?

Pour répondre à cette question, essayons d'utiliser cette bonne vieille méthode des 5 forces de Michaël Porter, l'objectif étant d'identifier les différences entre chacune des 2 typologies de conseil.

1> Intensité de la concurrence entre les entreprises du secteur. Cette force s'analyse habituellement en 6 critères et il apparaît que les 2 typologies de conseil sont équivalentes au regard de 4 de ces critères : Différenciation des services, Part des coûts fixes et difficultés de stockage, Barrière à la sortie et Diversité des concurrents.

Par contre, les 2 types de conseil différent sur les 2 critères suivants :

  • Concentration de l'industrie : le marché du Conseil en stratégie est beaucoup plus concentré que celui du Conseil en organisation, notamment avec beaucoup moins de gros acteurs. Or plus la concentration est forte, moins la concurrence est intense et donc plus l'industrie est normalement rentable.
  • Croissance de l'activité : difficile d'obtenir des chiffres quant à la croissance du Conseil en stratégie. Ce dernier est néanmoins plus résistant à la crise. Les clients ont moins de difficulté à investir dans un cadrage stratégique de 3 à 6 mois que dans un grand projet de transformation étalé sur plusieurs années.

2> Menace des entrants potentiels et barrières à l'entrée : 7 critères sont utilisés pour analyser cette force.

Il y a pour cette force de Porter de grandes similitudes entre les 2 métiers :

  • Avantages de coût indépendants de la taille ;
  • Différenciation des produits
  • Accès aux réseaux de distribution
  • Règlements et barrières légales
  • Capacité de riposte des firmes en place
A noter cependant quelques divergences pour 2 critères importants :
  • Ticket d'entrée dans l'industrie : l'argument de vente des cabinets en stratégie réside dans leurs études comparatives et quantitatives. C'est le résultat de très gros travaux de recherche et d'une capitalisation des connaissances sans faille. Ceci explique qu'il est beaucoup plus difficile d'entrer dans le secteur du Conseil en stratégie que dans celui du Conseil en organisation pour lequel, il n'y a quasiment pas de barrière à l'entrée.
  • Économie d'échelle : plus un cabinet en stratégie est important plus il pourra amortir ses coûts de R&D. Pour les autres coûts (marketing, recrutement etc...) les 2 métiers sont équivalents du point de vue de ce critère.

3> Pression des produits et services de substitution : les 2 critères utilisés pour analyser cette force de Porter (élasticité croisée et innovation) ne permettent pas de différencier ces 2 industries.

4&5> Pouvoir de négociation des fournisseurs / acheteurs : on utilise 6 critères pour analyses ces forces.

La plupart des critères (concentration relative, impact de la qualité des inputs sur la qualité des outputs, différenciation des services, coût de remplacement du partenaire, part du produit fourni dans la structure de coût du client) ne permet pas de différencier le conseil en strat du conseil en organisation sauf une menace qui pèse à moyen terme sur l'industrie du conseil en organisation : la menace d'intégration verticale. Toutes les grandes entreprises ont créé leur propre structure de conseil en organisation interne : La Poste Conseil (créée en 2006), SNCF Conseil (créée en 2007); Air France Consulting, Safran Conseil, Renault Consulting etc.

En conclusion, la méthode de Porter montre que le conseil en stratégie est potentiellement plus attractif que celui du conseil en organisation et que, ce dernier doit impérativement monter en valeur et privilégier l'innovation pour poursuivre une trajectoire de croissance.

Rien que de très intuitif me direz-vous et il n'y avait peut-être pas besoin du modèle de Porter pour arriver à cette conclusion ?

Méfions-nous cependant de certaines intuitions. On pourrait penser qu'il vaut mieux être un petit cabinet dans un secteur fragmenté. Le modèle de Porter montre exactement l'inverse : une industrie concentrée est plus rentable qu'une industrie fragmentée, les concurrents de taille moyenne bénéficient comme les gros des marges élevées qui sont pratiquées dans l'activité. Mais encore faut-il savoir rentrer sur ce marché...

Gestion d'un P&L Consulting : quelques petits trucs

Au chapitre "comment gérer le P&L d'une activité de Conseil", je suis toujours étonné par l'importance extrême accordée au quantitatif par mes homologues. Je ne suis pas certain que l'on développe une practice en se focalisant sur les seuls indicateurs de taux d'utilisation et de taux journalier moyen. Je suis convaincu que le quantitatif découle plutôt du qualitatif, c'est-à-dire pour nos activités, de la bonne gestion de nos consultants. Si vous développez au sein de vos équipes une culture de la performance, nul doute que vos honoraires, votre staffing et vos tarifs seront à la hausse. La question est donc de savoir mettre en oeuvre une telle culture. J'ai listé ci-après quelques-un de mes trucs.

Privilégier l'informel et la convivialité. Une réunion tous les 15 jours avec les Associés et les Senior Managers pour suivre le business. Nul besoin de demander des reportings complexes. Favoriser la participation active à cette réunion et multiplier les échanges au sein de l'équipe. Surtout pas de management à coup de mails et de tableaux Excel à remplir en 48h. Autre point important pour développer la convivialité, faites confiance aux gens. Bien sûr, recruter les meilleurs et, au début, tester les. Mais une fois que vous vous êtes assuré de leur fiabilité, ne les brider surtout pas dans leurs développements. Je suis persuadé que la convivialité est un véritable avantage concurrentiel pour un cabinet de conseil.

Diffuser et généraliser les bonnes idées. Je dois avouer que je me comporte comme une éponge à idées. Dès que j'identifie une bonne pratique ou une idée originale au sein du cabinet, je me dépêche de la généraliser à l'ensemble des équipes. Attention, si vous voulez que chacun s'approprie cette nouvelle idée, diriger le projecteur sur l'idée et non sur l'auteur.

Se dépasser. Certes toutes les entreprises ont leur processus budgétaire et il est nécessaire pour piloter l'activité. Mais je me refuse à rentrer dans les petits jeux de marchandage budgétaire. Je préfère amener les équipes à se dépasser par rapport à leur marché et aux moyens à leur disposition. On parle croissance et perspectives. Bien sûr, en corollaire, le système d'évaluation doit permettre de gratifier ceux qui ont effectivement essayer de se dépasser par rapport à ceux qui se contentent de négocier à la baisse leurs objectifs.

Communiquer et célébrer toutes les bonnes nouvelles. Le moral de l'équipe est sans doute le meilleur indicateur avancé de votre business des tout prochains mois. Il n'y a aucune raison que notre activité de consultant soit ennuyeuse, bien au contraire. Have fun in your job !

Consulting : où est l'innovation ?

J'ai récemment parcouru une étude sur les achats de prestation de conseil. L'auteur y regrettait le système de référencement des grands comptes qui, selon lui, ne permettait pas aux petits cabinets de travailler pour ce type de clients. L'auteur argumentait notamment en indiquant que ces clients se privaient de la créativité et de la capacité d'innovation des petits cabinets qui seraient de véritables laboratoires à innovation.

A quelques exceptions près, l'innovation est rarement présente au sein des petits cabinets. Ou alors il s'agit de toutes petites structures pilotées par des enseignants - chercheurs : leurs missions ne sont pas l'activité principale de ces structures, ce sont plutôt des "alibis", des sources d'information - ou plutôt d'inspiration - pour les thèses universitaires et les ouvrages de managements qui y sont produits. Pour le reste, quand on parle de petits cabinets de conseil classiques, à vocation commerciale, leur capacité d'investissement est trop faible pour se consacrer à l'innovation. Ils proposent une expertise sur un secteur d'activité ou une méthodologie pré-existante mais pas d'éléments véritablement innovants.

Est-ce que l'innovation est alors plus développée par les grosses firmes de conseil ? En théorie, la capacité d'investissement y est meilleure mais là encore, sauf quelques exceptions, la créativité est décevante. Les investissements sont plutôt consacrés à des formations sur le Data Management et la méthode Agile. La raison en est simple, seul ce type d'investissement permet de se positionner sur les très gros projets de transformation. Pour tout autre investissement, le Pay Back est trop lointain.

Dans quelles mesures alors les cabinets de conseil peuvent-ils encore être innovants ? Selon moi, en participants à des groupes de travail, des comités scientifiques en liaison avec des universités et des instituts de recherche. Encore faut-il bien veiller à la qualité des liens avec le milieu de la Recherche : implication de consultants dans les cursus de formation, accueil des thésards et de stagiaires dans les cabinets, articles et études co-produits etc.

Gestion stratégique : la 3ème dimension

Une entreprise revêt à la fois 3 formes différentes : c'est une entité de transformation de matières premières, une organisation humaine qui doit être régulée et aussi, un espace politique où s'expriment des débats; des idées et des logiques différentes. J'ai retrouvé cette semaine une vieille analyse (elle date de 1981) de Raymond-Alain Thietart qui n'en reste pas moins d'actualité. Dans cette étude intitulée "La stratégie mixte et ses syndromes" (Harvard-l'Expansion, automne 1981, p 46 à 56), l'auteur analyse les trois dimensions de la gestion stratégique : la dimension économique, la dimension organisationnelle et la dimension politique et surtout, il analyse les syndromes ou dysfonctionnements engendrés par une trop forte focalisation sur deux voire une seule dimension au détriment de la troisième.

L'espace à 3 dimensions de la gestion stratégique est ainsi caractérisé par 8 points - les sommets d'un cube - qui correspondent à des syndromes typiques et des fonctionnements différents pour l'entreprise. A titre d'exemple, si seule la dimension organisationnelle est prise en compte, le dysfonctionnement est qualifié de "bureaucratique". Si seule la dimension économique est privilégiée, il s'agit d'un dysfonctionnement "technocratique" etc. Bien sûr, l'objectif est de prendre en compte les 3 dimensions de façon équilibrée.

La crise a eu pour vertu de focaliser les entreprises sur les dimensions économique et organisationnelle, dans un objectif de recherche d'efficacité. Cela a permis aux cabinets de conseil de mener - et de continuer à mener - de nombreuses missions de maîtrise des coûts (ABC, TCO, EVA etc...) et des missions de refonte de processus (méthodes BPR, Lean, Six Sigma etc...).

La question est de savoir si cette focalisation ne s'est pas faite au détriment de la dimension politique. Ce syndrome dans l'analyse de R.A. Thietart est appelé "Mécanique aveugle", il fait référence aux principes des organisations tayloriennes.

En tant que consultant, je dirais que si les chantiers économiques et organisationnelles ont été menés dans le cadre d'un programme global d'entreprise, la dimension politique a forcément été prise en compte dans la préparation des différents chantiers : constitution des groupes de travail, remontée et échanges des meilleures pratiques, libre diffusion des idées et des sachants au sein de l'entreprise...

Si par contre, les dimensions économiques et organisationnelles n'ont été prises en compte qu'à travers de petits projets déconnectés les uns des autres, sans vue d'ensemble ; il y a fort à parier que la dimension politique a été délaissée dans la gestion stratégique choisie par l'entreprise.

Comment reprendre en main très rapidement la dimension politique ?

Il s'agit d'enclencher très rapidement un processus de visionning. Dans ce processus, le leader partage avec un groupe de collaborateurs clés l'élaboration d'un cadre stratégique qui "donnera le ton" et incitera au travail collectif le reste de l'entreprise. Le débat d'idées est alors relancé autour de la construction d'un objectif stratégique commun et d'une ambition partagée par chacun pour l'entreprise.

Le leader incarne alors le rêve collectif : il injecte les idées de départ, témoigne du souhait d'évolution, installe le processus de discussion, consolide la vision partagée puis la communique, la communique et.... la communique.

Inutile de dire que le processus de visionning est complexe à mettre en oeuvre, surtout la première fois. Sans doute une opportunité pour les cabinets de conseil spécialisés...


Swim upstream ?

Dans son livre Made in America (Bantam Books, 1993), Sam Walton explique les dix règles qui expliquent le succès de Wal-Mart. Il s'agit des "Sam's Rules for Building a Business".

La dernière règle (Rule 10) est intéressante : "Swim upstream. Go the other way. Ignore the conventional wisdom. Il everybody else is doing it one way, there's a good chance you can find your niche by going in exactly the opposite direction. But be prepared for a lot of folks to wave you down and tell you you're headed the wrong way. I guess in all my years, what I heard more often than anything was : a town of less than 50,000 population cannot support a discount store for very long".

Si on appliquait cette règle à quelques principes admis du Management Consulting, serait-on en mesure de dégager des idées nouvelles permettant de se différencier de la concurrence ?

Pyramide des grades ? L'organisation de tout cabinet repose sur une pyramide des grades. Les seniors vendent et pilotent les missions. Les juniors produisent sous leur supervision et permettent de dégager la rentabilité des missions. Pourrait-on imaginer des cabinets avec des techniques de vente qui permettraient d'augmenter le ratio juniors / seniors ? Ou à l'inverse, des offres qui permettaient de le diminuer tout en dégageant une bonne rentabilité ?

Course à la taille ? Seuls les gros cabinets peuvent fournir des prestations globales aux très grandes entreprises implantées à l'international. Pourrait-on imaginer des fédérations de petits cabinets ayant encore plus d'efficacité dans la réalisation de ces missions parce que plus proches culturellement de leurs clients ?

Honoraires, rien que des honoraires ? Bien sûr, les cabinets ont progressé sur ce volet, crise oblige. Des rémunérations aux résultats (success fees) sont de plus en plus souvent proposées aux clients. On peut aller encore plus loin : intéressement aux résultats du client, octroi d'actions, création de structures conjointes etc...

Le Consulting : un marché de grandes entreprises ? Les grandes firmes de conseil s'adressent principalement aux grandes entreprises. Le marché des PME est mal adressé. Quelles techniques commerciales mettre en oeuvre pour améliorer la connaissance de ce marché et accroître le niveau de proximité ? Quid des GIE ou autres instances permettant de partager les coûts pour permettre à de petites structures d'accéder à des prestations de service de haut niveau ?

Liste non exhaustive....

Gagner en confiance ?

Quels sont les facteurs clés de succès d'un cabinet de conseil ? D'après le Stratégor : "la réputation de la société de conseil et la qualité intellectuelle de ses consultants sont les facteurs clés de succès de cette activité" (Stratégor, 5ème édition, p 852).

Si la qualité intellectuelle de nos consultants dépend essentiellement de nos critères de sélection et de nos programmes de formation, comment accroître la réputation d'un cabinet ? Les grandes marques ne se sont pas construites en un jour. Pour développer leur notoriété, elles ont dû accroître année après année leur capital confiance auprès de leurs clients.

Pour comprendre comment s'opère ce processus, je pose ici une formule de la confiance Client :

Confiance = Proximité x Crédibilité / Risque perçu


Proximité Client

Bien sûr, il faut être proche de ses clients, les connaître intimement pour mieux comprendre leurs besoins. Quand il s'agit de petites missions, il n'y a qu'un nombre réduit de décideurs, c'est facile. Quand on souhaite accéder aux plus grands marchés, il faut embrasser un plus grand nombre de corps de métier, la vente se complexifie. Il s'agit de bien comprendre l'organigramme de son client et l'ensemble des leviers politique et émotionnels. Côté cabinet, plusieurs intervenants sont alors nécessaires pour assurer un bon niveau de proximité avec l'ensemble des décideurs. Le tout doit être orchestré par des plans de compte commerciaux sophistiqués.


Crédibilité du cabinet

La crédibilité n'est pas qu'une histoire de communication externe. La crédibilité d'un cabinet réside avant tout dans sa capacité à mobiliser rapidement l'ensemble de son expertise sur un sujet donné. Cela passe notamment par un Knowledge Management sans faille, de la veille sectorielle et, idéalement pour les cabinets haut de gamme, des benchmarks. Tout cela doit être régulièrement diffusé sous forme de Point of View : "Publish or Perish".


Risque perçu à travailler avec le cabinet

Passons vite sur le risque de travailler sur des longues périodes avec de trop petites structures non pérennes. Parlons plutôt du risque pour le client de voir s'évaporer l'équipe de consultants qu'il a "achetée", soit du fait de démissions, soit parce que le cabinet décide de réaffecter ses meilleurs experts à une autre mission vendue par ailleurs. Soyons clairs, ces points relèvent de l'éthique du cabinet et de sa capacité à conserver ses consultants.


Ces 3 points sont essentiels au développement durable d'un cabinet de conseil.


dimanche 27 avril 2025

L'idée reçue du Knowledge Management

Tout cabinet qui se respecte se doit d'avoir un Knowledge Management (KM) à la pointe tant en termes de processus d'archivage que d'outil de consultation. C'est à quoi s'attendent les nouvelles recrues fraîchement arrivées au sein d'un cabinet de conseil. Le KM doit leur permettre d'accéder très rapidement à l'ensemble des méthodologies et exemples de produits finis des précédentes missions du cabinet.

C'est là une des idées reçues (il y en a d'autres) du monde du conseil. En fait, tout dépend du positionnement du cabinet : plus le portefeuille d'activités privilégie les missions stratégiques ou d'exécution stratégique, moins le KM sera développé. Pour ces acteurs haut de gamme du conseil, un peu comme dans le monde de la haute couture, chaque client est unique. Pour ce type de prestation, il est impensable de vouloir plaquer une même méthodologie sur deux clients différents. De même, il n'est pas question de reprendre les conclusions d'un client donné pour les appliquer à son concurrent. Sans compter les problèmes de conflit d'intérêt que cela poserait.

Chaque mission est différente, chaque client a ses spécificités : il faut donc à chaque fois repartir d'une page blanche et véritablement construire une préconisation adaptée au contexte de son client en faisant fi de tout a priori. Bienvenue dans le monde de l'anti KM. Pour mener à bien leurs missions, ces cabinets haut de gamme ne comptent que sur la capacité intellectuelle de leurs consultants et la qualité de leurs services de recherche économique. Le recrutement et la recherche sont les deux processus stratégiques des cabinets de conseil en stratégie.

A l'inverse, pour les cabinets spécialisés en assistance à maîtrise d'ouvrage, ce sont justement les processus de capitalisation des connaissances et de formation des consultants à des standards méthodologiques qui sont stratégiques. Sur ce segment de marché de conseil qui compte beaucoup d'acteurs et peu de barrières à l'entrée, la concurrence est vive et les marges sont faibles. La rentabilité repose essentiellement (mais pas seulement) sur la capacité du cabinet à se déplacer plus rapidement que ses concurrents sur la courbe d'expérience. Toute expérience passée doit être le plus rapidement possible reproduite à un moindre coût chez un autre client. Grands volumes et réduction des cycles de production, nous sommes dans le domaine du prêt à porter.

Aucun modèle n'est meilleur que l'autre : tout deux peuvent être très rentables, tout deux ont leurs clients et tout deux peuvent permettre de belles carrières.

samedi 26 avril 2025

L'idée reçue de la méthodologie

 

L'apport méthodologique serait une des attentes majeures de nos clients. Qu'il s'agisse de réduire les coûts, d'améliorer ou de conduire le changement, tout cabinet de conseil se doit d'avoir la méthodologie ad hoc.

Certes sur des problématiques très opérationnelles, il est bon d'aller très vite à l'essentiel et les méthodologies ont donc du bon. Pour le reste, et en particulier dans le domaine de l'exécution stratégique, les méthodologies sont de moins en moins une problématique centrale. Pourquoi ?

D'abord parce que les méthodes sont largement connues et publiées. Une requête "Lean Six Sigma" sur Google remonte plus de 3 930 000 résultats ; ce sujet est traité dans plus de 60 ouvrages en français. Une requête 'matrice BCG" remonte 17 700 résultats et 92 ouvrages français traitent du sujet. Les sites encyclopédiques à destination de consultants et chercheurs en management se multiplient.... Bien plus, les clients qui sont bien souvent des anciens consultants maîtrisent non seulement la théorie mais également la pratique.

Ensuite parce que la flexibilité d'exécution prime sur la rigidité méthodologique. L'exécution consiste à traduire la stratégie en plan d'actions et à mesurer ses résultats, le tout dans un environnement complexe et instable. C'est un travail compliqué et minutieux ; chaque détail compte, tout stimulus externe doit être analysé pour être éventuellement pris en comptes dans le plan d'actions. Bref, l'agilité stratégique ne peut être mises en équation ; elle ne peut pas être modélisée par une méthodologie.

Enfin, parce que l'énergie insufflée aux équipes opérationnelles est bien plus importante que la théorie. L'exécution stratégique repose sur toute une série de petits efforts quotidiens qui font avancer la machine, pas à pas. Ce qui compte, c'est la ténacité des équipes qui doivent accomplir les efforts jour après jour. On comprend alors l'enjeu pour le cabinet qui assiste un client dans une telle transformation : il s'agit d'insuffler l'envie et l'énergie pour mener à bien les plans d'actions. Certes pour que le succès soit au rendez-vous, il faut que la stratégie à décliner soit claire, lisible en interne mais il faut surtout instaurer une culture de la performance au quotidien. Telle est la véritable valeur ajoutée d'un cabinet d'exécution stratégique : la mobilisation positive et continue des équipes.


dimanche 23 mars 2025

L'idée reçue de l'Expertise dans le Consulting

Les missions de conseil sont de plus en plus techniques et demandent de recruter des spécialistes ? L'apport d'expertise est un des principaux arguments commerciaux des cabinets de conseil. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de l'exécution stratégique qui consiste à traduire la stratégie en plan d'actions et à mesurer leurs résultats. Cette activité de conseil demande une profonde expertise pour mesurer la distance qui sépare l'entreprise de ses objectifs stratégiques.

Ceci étant dit, l'expertise peut-être contre-productive dans certains cas. Toute mission d'exécution stratégique intègre un volet de conduite du changement et l'apport d'expertise pure peut le faire oublier. Je me souviens d'une mission où l'objectif était de changer radicalement les méthodes de valorisation des activités d'une entreprise. Notre client avait mobilisé son meilleur expert du domaine et, pour faire bonne mesure, nous en avions fait autant. Résultat : de longs débats d'experts entre nos deux champions qui ont peut-être fait avancer la "science" mais en aucun cas l'exécution de la nouvelle stratégie de notre client. Le projet n'avançait pas comme nous le souhaitions et nous avons dû revoir le staffing de notre mission pour obtenir les résultats escomptés.

Il n'est pas bon de ne peupler un cabinet que d'experts très séniors dans leur domaine. L'expertise requise est inversement proportionnelle à la taille des missions. Les cabinets d'exécution stratégique mènent deux types de mission. Les missions d'expertise amont (définition du business plan, revue du business case...) qui mobilisent uniquement des experts sur une courte période. Et les missions de pilotage de programmes complexes, plus longues avec de larges équipes. Le premier type de mission permet de gagner les secondes ; les secondes permettent de former les consultants... la boucle est bouclée. N'avoir que des experts pour mener les deux types de mission est un mauvais calcul : ils s'ennuieraient et se démotiveraient sur le second type de mission.

Enfin, sur les très grands programmes à plusieurs millions d'euros, il est impossible de mobiliser des experts sur chacun des corps de métier impactés même auprès des Fat Four... Quelles alternatives ? Faire travailler les experts de plusieurs cabinets différents ? L'expérience montre qu'il est plus efficient de ne mandater qu'un seul cabinet avec une équipe plus polyvalente plutôt que de collectionner les spécialistes de différents horizons.

En conclusion, si l'expertise est un des fondamentaux du métier de consultant ; elle est loin d'être une condition nécessaire et suffisante au développement des cabinets d'exécution stratégique. Le véritable facteur clé de succès des cabinets réside dans la capacité intellectuelle et les qualités d'adaptation de leurs consultants.


samedi 15 février 2025

Théorie de la création de valeur par le conseil

Patrick Besson, Professeur à l'ESCP, et Frantz Rowe, Professeur à l'Université de Nantes, ont tenté d'établir une théorie de la création de valeur par le conseil en management ("Le conseil en management à l'épreuve de la création de valeur pour l'entreprise" - juin 2009).

Cette théorie de la création de valeur identifie 3 typologies de prestation ayant chacune une valeur spécifique : valeur fonctionnelle, valeur normative ou valeur transformationnelle.

Dans le cadre d'une mission créatrice de valeur fonctionnelle, le consultant apporte son expertise pour contribuer au processus de "production" (au sens large) de l'entreprise cliente. Il contribue également au processus de capitalisation et d'enrichissement des compétences de l'entreprise (knowldege factory).

Dans le cadre d'une prestation à valeur normative, le rôle du cabinet réside à trois niveaux : la conception, la diffusion et l'adaptation de normes. Un cabinet peut intervenir aux 3 niveaux (exemple : le BCG avec la matrice du même nom) ou seulement au niveau de la mise en oeuvre (ex : déploiement du Lean Six Sigma ou des balanced scorecards tels que conçus par Kaplan et Norton).

Enfin, la valeur transformationnelle d'une mission de conseil démontre la capacité d'un cabinet à accompagner ses clients dans les évolutions de son business model. La création de valeur se mesure alors par la vitesse du processus de changement de l'entreprise cliente.

Il est intéressant de constater qu'en période de crise, le marché se concentre sur la création de valeur fonctionnelle et la participation aux processus de "production" des entreprises clientes. Bien entendu, même si les volumes baissent, la production requiert toujours l'intervention d'experts fonctionnels et ce type de missions perdure. Le recul des missions normatives peut sans doute s'expliquer par la faible capacité d'investissement des cabinets en période de crise. Les mécanismes de création de valeur normative requièrent en effet la recherche et le développement de nouveaux concepts et aussi du marketing pour diffuser ces normes. Enfin, les clients opèrent également des coupes budgétaires et hésitent donc à lancer de gros projets de transformation. Conséquence : moins de prestations à valeur transformationnelle.

Ceci étant dit, dès la sortie de crise, les cabinets de conseil en management doivent rapidement se préparer à relancer des offres de création de valeur normative ou transformationnelle car ce sont ces offres qui contribuent véritablement à leur rentabilité.

Pourquoi ? Parce que la création de valeur fonctionnelle pour le client n'est mesurée que par le rapport entre la qualité des intervenants et leur prix d'intervention. La rentabilité des missions fonctionnelles dépend principalement de la marge sur les salaires consentie par les clients.

Alors que pour les prestations normatives ou de transformation, la valeur perçue par le client dépasse la seule qualité des intervenants. Le client achète aussi une norme ou, dans le cas des transformations, il achète la crédibilité du cabinet et/ou ses benchmarks. Tout le monde gagne en valeur et la rentabilité des missions normatives ou transformationnelles est supérieure aux missions fonctionnelles.

Du bon niveau de packaging des offres de Consulting

Tout cabinet qui se respecte, se doit d'avoir un panel d'offres autour de thématiques telles que la fonction Finance, la fonction RH, la fonction IT, la maîtrise des risques, la conformité réglementaire etc... Ce sont les offres qui permettent de construire l'image d'un cabinet. 

Attention cependant au niveau de formalisme de ces offres, deux approches peuvent en effet être retenues:
  • une approche très industrialisée qui s'astreint à une description très détaillée des offres méthodologiques et ce, dans l'objectif que cette description soit exploitable par quiconque au sein du cabinet, voire au sein du groupe auquel appartient le cabinet ;
  • une approche plus "artisanale" pour laquelle l'objectif est plutôt de mettre à disposition des consultants, des "souches" méthodologiques qui sont à chaque fois adaptées aux spécificités des besoins et du contexte du client.
Au delà du delivery, l'approche industrialisée cherche avant tout à modifier radicalement les processus d'avant-vente en raccourcissant les cycles commerciaux et en réduisant les coûts commerciaux (ces offres peuvent être vendues par des forces de vente très juniors).

L'approche industrielle est vertueuse pour les structures d'assistance technique qui souhaitent monter en gamme : dans ce modèle, les commerciaux ne vendent plus des profils mais des offres packagées à forte valeur ajoutée. Cette approche présente également un intérêt dans le cas de missions de certification au regard de normes ou standards car, dans le cas d'espèce, le client s'attend effectivement à des offres très normalisées. Enfin, l'approche industrielle reste valable pour les prestations aux "sucess fees" (exemples : amélioration du BFR, recouvrement, optimisation fiscale...) car, dans ce dernier cas, la création de valeur est explicite pour le prospect.

Pour le reste, il convient d'être très prudent car l'approche industrialisée peut être confrontée à quelques limites pour le développement d'un cabinet de conseil en management. D'abord parce que l'acte commercial dans le conseil est éminemment complexe : il requiert une co-construction avec le client. Ensuite parce qu'il se fonde sur l'intuitu personae qui scelle la relation de confiance entre le décideur et l'Associé. Ce dernier s'engage à délivrer personnellement ce qu'il a vendu. Enfin et surtout parce qu'une offre très packagée est infiniment plus dupliquable par la concurrence : conséquence rapide, les prix sont très rapidement tirés vers le bas. Il est alors dangereux de ne dépendre que de ces seules offres.

Bref, les cabinets de conseil peuvent compléter leur gamme de services par des offres très packagées, elles leur permettront d'accéder à des relais de croissance supplémentaires. Ces offres peuvent notamment aider certains cabinets à reprendre une dynamique de sortie de crise. Mais ces seules offres ne peuvent prétendre à remplacer la totalité du portefeuille d'activités d'un cabinet de conseil en management. Si tel était le cas, le cabinet descendrait rapidement en gamme.

De l'exécution stratégique

Cette semaine, j'ai été amené à beaucoup échanger avec des étudiants de Grandes Ecoles. Des échanges très riches sur le métier de consultant. Beaucoup d'étudiants m'ont interrogé sur l'exécution stratégique. 

L'exécution stratégique, c'est la déclinaison de la stratégie au sein de l'entreprise. Une large bibliographie est consacrée au sujet mais mon ouvrage préféré en la matière est sans doute celui de Louis Gerstner, ancien consultant McKinsey et président d'IBM de 1993 à 2002, la période du redressement de Big Blue. Voici quelques unes de ses convictions sur l'exécution stratégique : « J’ai participé, en tant que consultant, au développement de beaucoup de stratégies pour de nombreuses entreprises. Je vais vous confier un secret : il est extrêmement difficile de définir une stratégie exclusive pour une entreprise ; et si la stratégie est très différente de celle des autres acteurs de la même industrie, elle est probablement très risquée. La raison en est que chaque secteur d’activité est défini et guidé par des modèles économiques, des besoins explicites des clients et des structures concurrentielles connus de tous et qui ne peuvent pas être modifiés rapidement. Il est donc très malaisé de développer une stratégie originale, et en supposant que l’on y parvienne, il l’est plus encore de lui conserver son caractère exclusif […]. L’exécution est donc la composante critique d’une stratégie réussie. Faire ce qui a été décidé, le faire bien et mieux que le concurrent est beaucoup plus important que d’imaginer des visions futuristes. »

L'exécution stratégique est une question de détails Il s'agit de décliner l'ambition de la Direction Générale en un plan d'actions complet tant sur le volet des opérations, des ressources humaines, de la finance que du commercial et du marketing. Chaque détail compte, il permettra de faire la différence par rapport à la concurrence. Chaque action doit être concrète, immédiatement compréhensible et applicable par chaque intervenant au sein de l'entreprise.

L'exécution stratégique est une question de vitesse Il s'agit de décliner une décision prise par le board à l'ensemble des business units du groupe. Ce qui fait qu'une banque prend l'avantage par rapport à ses concurrents, ce n'est pas la qualité de ses produits et services, ou tout du moins pas seulement. C'est le fait que derrière chaque guichet de la banque, chaque collaborateur soit parfaitement au fait des qualités des nouveaux produits et puisse ainsi mieux les expliquer à ses clients. La théorie, la conception des produits a certes son importance mais c'est la rapidité de mise en œuvre qui permettra de prendre des parts de marché supplémentaires.

L'exécution stratégique est une question de contrôle Car, encore une fois, il ne faut pas confondre théorie et pratique, instruction et exécution. La déclinaison de la stratégie au niveau de l'entreprise doit s'accompagner de contrôles périodiques de l'avancement des plans d'actions.

Toujours penser aux modalités d'exécution d'une stratégie dès sa phase de conception.