samedi 26 avril 2025

L'idée reçue de la méthodologie

 

L'apport méthodologique serait une des attentes majeures de nos clients. Qu'il s'agisse de réduire les coûts, d'améliorer ou de conduire le changement, tout cabinet de conseil se doit d'avoir la méthodologie ad hoc.

Certes sur des problématiques très opérationnelles, il est bon d'aller très vite à l'essentiel et les méthodologies ont donc du bon. Pour le reste, et en particulier dans le domaine de l'exécution stratégique, les méthodologies sont de moins en moins une problématique centrale. Pourquoi ?

D'abord parce que les méthodes sont largement connues et publiées. Une requête "Lean Six Sigma" sur Google remonte plus de 3 930 000 résultats ; ce sujet est traité dans plus de 60 ouvrages en français. Une requête 'matrice BCG" remonte 17 700 résultats et 92 ouvrages français traitent du sujet. Les sites encyclopédiques à destination de consultants et chercheurs en management se multiplient.... Bien plus, les clients qui sont bien souvent des anciens consultants maîtrisent non seulement la théorie mais également la pratique.

Ensuite parce que la flexibilité d'exécution prime sur la rigidité méthodologique. L'exécution consiste à traduire la stratégie en plan d'actions et à mesurer ses résultats, le tout dans un environnement complexe et instable. C'est un travail compliqué et minutieux ; chaque détail compte, tout stimulus externe doit être analysé pour être éventuellement pris en comptes dans le plan d'actions. Bref, l'agilité stratégique ne peut être mises en équation ; elle ne peut pas être modélisée par une méthodologie.

Enfin, parce que l'énergie insufflée aux équipes opérationnelles est bien plus importante que la théorie. L'exécution stratégique repose sur toute une série de petits efforts quotidiens qui font avancer la machine, pas à pas. Ce qui compte, c'est la ténacité des équipes qui doivent accomplir les efforts jour après jour. On comprend alors l'enjeu pour le cabinet qui assiste un client dans une telle transformation : il s'agit d'insuffler l'envie et l'énergie pour mener à bien les plans d'actions. Certes pour que le succès soit au rendez-vous, il faut que la stratégie à décliner soit claire, lisible en interne mais il faut surtout instaurer une culture de la performance au quotidien. Telle est la véritable valeur ajoutée d'un cabinet d'exécution stratégique : la mobilisation positive et continue des équipes.


dimanche 23 mars 2025

L'idée reçue de l'Expertise dans le Consulting

Les missions de conseil sont de plus en plus techniques et demandent de recruter des spécialistes ? L'apport d'expertise est un des principaux arguments commerciaux des cabinets de conseil. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de l'exécution stratégique qui consiste à traduire la stratégie en plan d'actions et à mesurer leurs résultats. Cette activité de conseil demande une profonde expertise pour mesurer la distance qui sépare l'entreprise de ses objectifs stratégiques.

Ceci étant dit, l'expertise peut-être contre-productive dans certains cas. Toute mission d'exécution stratégique intègre un volet de conduite du changement et l'apport d'expertise pure peut le faire oublier. Je me souviens d'une mission où l'objectif était de changer radicalement les méthodes de valorisation des activités d'une entreprise. Notre client avait mobilisé son meilleur expert du domaine et, pour faire bonne mesure, nous en avions fait autant. Résultat : de longs débats d'experts entre nos deux champions qui ont peut-être fait avancer la "science" mais en aucun cas l'exécution de la nouvelle stratégie de notre client. Le projet n'avançait pas comme nous le souhaitions et nous avons dû revoir le staffing de notre mission pour obtenir les résultats escomptés.

Il n'est pas bon de ne peupler un cabinet que d'experts très séniors dans leur domaine. L'expertise requise est inversement proportionnelle à la taille des missions. Les cabinets d'exécution stratégique mènent deux types de mission. Les missions d'expertise amont (définition du business plan, revue du business case...) qui mobilisent uniquement des experts sur une courte période. Et les missions de pilotage de programmes complexes, plus longues avec de larges équipes. Le premier type de mission permet de gagner les secondes ; les secondes permettent de former les consultants... la boucle est bouclée. N'avoir que des experts pour mener les deux types de mission est un mauvais calcul : ils s'ennuieraient et se démotiveraient sur le second type de mission.

Enfin, sur les très grands programmes à plusieurs millions d'euros, il est impossible de mobiliser des experts sur chacun des corps de métier impactés même auprès des Fat Four... Quelles alternatives ? Faire travailler les experts de plusieurs cabinets différents ? L'expérience montre qu'il est plus efficient de ne mandater qu'un seul cabinet avec une équipe plus polyvalente plutôt que de collectionner les spécialistes de différents horizons.

En conclusion, si l'expertise est un des fondamentaux du métier de consultant ; elle est loin d'être une condition nécessaire et suffisante au développement des cabinets d'exécution stratégique. Le véritable facteur clé de succès des cabinets réside dans la capacité intellectuelle et les qualités d'adaptation de leurs consultants.


samedi 15 février 2025

Théorie de la création de valeur par le conseil

Patrick Besson, Professeur à l'ESCP, et Frantz Rowe, Professeur à l'Université de Nantes, ont tenté d'établir une théorie de la création de valeur par le conseil en management ("Le conseil en management à l'épreuve de la création de valeur pour l'entreprise" - juin 2009).

Cette théorie de la création de valeur identifie 3 typologies de prestation ayant chacune une valeur spécifique : valeur fonctionnelle, valeur normative ou valeur transformationnelle.

Dans le cadre d'une mission créatrice de valeur fonctionnelle, le consultant apporte son expertise pour contribuer au processus de "production" (au sens large) de l'entreprise cliente. Il contribue également au processus de capitalisation et d'enrichissement des compétences de l'entreprise (knowldege factory).

Dans le cadre d'une prestation à valeur normative, le rôle du cabinet réside à trois niveaux : la conception, la diffusion et l'adaptation de normes. Un cabinet peut intervenir aux 3 niveaux (exemple : le BCG avec la matrice du même nom) ou seulement au niveau de la mise en oeuvre (ex : déploiement du Lean Six Sigma ou des balanced scorecards tels que conçus par Kaplan et Norton).

Enfin, la valeur transformationnelle d'une mission de conseil démontre la capacité d'un cabinet à accompagner ses clients dans les évolutions de son business model. La création de valeur se mesure alors par la vitesse du processus de changement de l'entreprise cliente.

Il est intéressant de constater qu'en période de crise, le marché se concentre sur la création de valeur fonctionnelle et la participation aux processus de "production" des entreprises clientes. Bien entendu, même si les volumes baissent, la production requiert toujours l'intervention d'experts fonctionnels et ce type de missions perdure. Le recul des missions normatives peut sans doute s'expliquer par la faible capacité d'investissement des cabinets en période de crise. Les mécanismes de création de valeur normative requièrent en effet la recherche et le développement de nouveaux concepts et aussi du marketing pour diffuser ces normes. Enfin, les clients opèrent également des coupes budgétaires et hésitent donc à lancer de gros projets de transformation. Conséquence : moins de prestations à valeur transformationnelle.

Ceci étant dit, dès la sortie de crise, les cabinets de conseil en management doivent rapidement se préparer à relancer des offres de création de valeur normative ou transformationnelle car ce sont ces offres qui contribuent véritablement à leur rentabilité.

Pourquoi ? Parce que la création de valeur fonctionnelle pour le client n'est mesurée que par le rapport entre la qualité des intervenants et leur prix d'intervention. La rentabilité des missions fonctionnelles dépend principalement de la marge sur les salaires consentie par les clients.

Alors que pour les prestations normatives ou de transformation, la valeur perçue par le client dépasse la seule qualité des intervenants. Le client achète aussi une norme ou, dans le cas des transformations, il achète la crédibilité du cabinet et/ou ses benchmarks. Tout le monde gagne en valeur et la rentabilité des missions normatives ou transformationnelles est supérieure aux missions fonctionnelles.

Du bon niveau de packaging des offres de Consulting

Tout cabinet qui se respecte, se doit d'avoir un panel d'offres autour de thématiques telles que la fonction Finance, la fonction RH, la fonction IT, la maîtrise des risques, la conformité réglementaire etc... Ce sont les offres qui permettent de construire l'image d'un cabinet. 

Attention cependant au niveau de formalisme de ces offres, deux approches peuvent en effet être retenues:
  • une approche très industrialisée qui s'astreint à une description très détaillée des offres méthodologiques et ce, dans l'objectif que cette description soit exploitable par quiconque au sein du cabinet, voire au sein du groupe auquel appartient le cabinet ;
  • une approche plus "artisanale" pour laquelle l'objectif est plutôt de mettre à disposition des consultants, des "souches" méthodologiques qui sont à chaque fois adaptées aux spécificités des besoins et du contexte du client.
Au delà du delivery, l'approche industrialisée cherche avant tout à modifier radicalement les processus d'avant-vente en raccourcissant les cycles commerciaux et en réduisant les coûts commerciaux (ces offres peuvent être vendues par des forces de vente très juniors).

L'approche industrielle est vertueuse pour les structures d'assistance technique qui souhaitent monter en gamme : dans ce modèle, les commerciaux ne vendent plus des profils mais des offres packagées à forte valeur ajoutée. Cette approche présente également un intérêt dans le cas de missions de certification au regard de normes ou standards car, dans le cas d'espèce, le client s'attend effectivement à des offres très normalisées. Enfin, l'approche industrielle reste valable pour les prestations aux "sucess fees" (exemples : amélioration du BFR, recouvrement, optimisation fiscale...) car, dans ce dernier cas, la création de valeur est explicite pour le prospect.

Pour le reste, il convient d'être très prudent car l'approche industrialisée peut être confrontée à quelques limites pour le développement d'un cabinet de conseil en management. D'abord parce que l'acte commercial dans le conseil est éminemment complexe : il requiert une co-construction avec le client. Ensuite parce qu'il se fonde sur l'intuitu personae qui scelle la relation de confiance entre le décideur et l'Associé. Ce dernier s'engage à délivrer personnellement ce qu'il a vendu. Enfin et surtout parce qu'une offre très packagée est infiniment plus dupliquable par la concurrence : conséquence rapide, les prix sont très rapidement tirés vers le bas. Il est alors dangereux de ne dépendre que de ces seules offres.

Bref, les cabinets de conseil peuvent compléter leur gamme de services par des offres très packagées, elles leur permettront d'accéder à des relais de croissance supplémentaires. Ces offres peuvent notamment aider certains cabinets à reprendre une dynamique de sortie de crise. Mais ces seules offres ne peuvent prétendre à remplacer la totalité du portefeuille d'activités d'un cabinet de conseil en management. Si tel était le cas, le cabinet descendrait rapidement en gamme.

De l'exécution stratégique

Cette semaine, j'ai été amené à beaucoup échanger avec des étudiants de Grandes Ecoles. Des échanges très riches sur le métier de consultant. Beaucoup d'étudiants m'ont interrogé sur l'exécution stratégique. 

L'exécution stratégique, c'est la déclinaison de la stratégie au sein de l'entreprise. Une large bibliographie est consacrée au sujet mais mon ouvrage préféré en la matière est sans doute celui de Louis Gerstner, ancien consultant McKinsey et président d'IBM de 1993 à 2002, la période du redressement de Big Blue. Voici quelques unes de ses convictions sur l'exécution stratégique : « J’ai participé, en tant que consultant, au développement de beaucoup de stratégies pour de nombreuses entreprises. Je vais vous confier un secret : il est extrêmement difficile de définir une stratégie exclusive pour une entreprise ; et si la stratégie est très différente de celle des autres acteurs de la même industrie, elle est probablement très risquée. La raison en est que chaque secteur d’activité est défini et guidé par des modèles économiques, des besoins explicites des clients et des structures concurrentielles connus de tous et qui ne peuvent pas être modifiés rapidement. Il est donc très malaisé de développer une stratégie originale, et en supposant que l’on y parvienne, il l’est plus encore de lui conserver son caractère exclusif […]. L’exécution est donc la composante critique d’une stratégie réussie. Faire ce qui a été décidé, le faire bien et mieux que le concurrent est beaucoup plus important que d’imaginer des visions futuristes. »

L'exécution stratégique est une question de détails Il s'agit de décliner l'ambition de la Direction Générale en un plan d'actions complet tant sur le volet des opérations, des ressources humaines, de la finance que du commercial et du marketing. Chaque détail compte, il permettra de faire la différence par rapport à la concurrence. Chaque action doit être concrète, immédiatement compréhensible et applicable par chaque intervenant au sein de l'entreprise.

L'exécution stratégique est une question de vitesse Il s'agit de décliner une décision prise par le board à l'ensemble des business units du groupe. Ce qui fait qu'une banque prend l'avantage par rapport à ses concurrents, ce n'est pas la qualité de ses produits et services, ou tout du moins pas seulement. C'est le fait que derrière chaque guichet de la banque, chaque collaborateur soit parfaitement au fait des qualités des nouveaux produits et puisse ainsi mieux les expliquer à ses clients. La théorie, la conception des produits a certes son importance mais c'est la rapidité de mise en œuvre qui permettra de prendre des parts de marché supplémentaires.

L'exécution stratégique est une question de contrôle Car, encore une fois, il ne faut pas confondre théorie et pratique, instruction et exécution. La déclinaison de la stratégie au niveau de l'entreprise doit s'accompagner de contrôles périodiques de l'avancement des plans d'actions.

Toujours penser aux modalités d'exécution d'une stratégie dès sa phase de conception.